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Mon métier consiste à parcourir les pages du haut jusqu’en bas. À les dévorer le plus vite

possible. C'est un métier humain. D'abord parce que lorsqu'il est à la première page, l’Homme (avec

un grand H) a hâte d’avancer dans l’histoire, ensuite parce que lorsqu'il y a plusieurs personnes sur

le même livre, elles veulent toutes lire plus vite les unes que les autres.

Un métier terrien.

Je suis lectrice.

Il y en a eu cent mille milliards avant moi, il y a eu mes parents aussi et, maintenant, il y a

moi. Je serai cette année meilleure lectrice que je ne l’ai été l’an passé et au prochain Salon du

Livre, je saurai l’appeler Livre Paris.

[...]

Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de

repos absolu. Le repos du lecteur.

Vous avez fini le premier chapitre difficilement, vous sortez de la narration et vous vous

rendez compte de cette minuscule erreur de choix, cette petite faute stupide (qui n’est pas

d’inattention puisque les lecteurs font attention) qui vous tire quelques soupirs en dehors de la

réflexion idéale. Et là, c’est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu des heures, puis

très vite, des jours. Plus rien n’a d’importance, vous n’êtes plus un lecteur, vos yeux se relâchent,

votre esprit se libère, vous savez que vous allez ne rien comprendre à ce livre.

Mon métier consiste à remplir l’air de mes remarques. A remplir l’air le mieux possible. C’est un métier d’homme. D’abord parce que lorsqu’il est en présence de choses qui l’énervent, l’homme a envie de partager son désarroi, ensuite parce que lorsqu’il y a plusieurs hommes comme lui, ils veulent tous pester dans un même soupir de plus en plus fort les uns que les autres.

Un métier humain.

Je suis râleur.

Il y a eu Serge Gainsbourg, il y a eu Grumpy Cat, il y a eu Michel Galabru, il y a eu mon grand-père, il y a eu ma mère aussi et, maintenant, il y a moi. Je pense que cette année, je pourrais prendre sur moi, méditer, ignorer et, pourtant, cette année a mal commencé.

Je suis l’homme le plus équilibré de mon entourage, le plus censé, le plus calme, et mon travail consiste à faire remarquer aux yeux de tous que rien ne me plait.

Tous les grands râleurs n’aiment rien, c’est bien connu.

Râler c’est d’abord parler autrement ; de façon à semer l’inquiétude et le doute.

Faire peur. Râler de telle manière que les autres pensent que vous allez enfin vous taire, jusqu’à ce qu’une génération entière râle comme vous.

Dans une vie de râleur, on ne peut inventer qu’une ironie géniale et une seule.

Les sarcasmes sont arrivés instantanément avec leurs phrases courtes et venimeuses, ou encore avec des Punchlines bien placées, et deux saisons plus tard, les cinquante meilleures répliques résonnaient comme eux.

Maintenant, il y a moi.

Etre un grand râleur est un état qui exige un don absolu de soi-même et une impatience totale. Je râle à plein temps. Je râle en prenant mon bus 18 et le RER A. Je m’efforce de respirer un grand coup, sans grogner, d’écouter de la musique très fort pour mieux me calmer. Je souris, crispé à mes futures victimes et aux personnes qui ne m’énervent pas encore parce que je sais qu’ils aident à m’apaiser. J’explose devant celui qui me bouscule qui est malpoli parce que je sais que cela m’aidera à bien commencer la journée.

Prenez deux hommes à égalité de voix et d’esprit, sur le même trouble, mettez-les à côté l’un de l’autre et c’est toujours moi qui râle le mieux.

La voix dans ma tête qui me prie d’être indulgent, je l’entends mille fois par semaine. Le jeu de ma conscience bien enfouie, celle qu’on est censé écouter pour prendre la bonne décision, je le fais chaque soir avant de me coucher. Je sais, tous les incidents ne méritent pas de ronchonner mais lorsque je les vois, je ne peux pas me contenir.

Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de repos absolu. Le repos du râleur.

Vous avez passé une journée infecte, vous avez trimé bien à fond, vous rentrez dans un grognement constant et vous ne pouvez encore moins vous retenir dans votre protestation causée cette minuscule incartade avec un passant, cette petite faute stupide (qui n’est pas si stupide puisque les râleurs n’ignorent rien) qui vous tire encore un peu plus en dehors du calme idéal. Et là, c’est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu le bon sens, puis très vite vous rentrez chez vous. Plus rien d’importance, vous n’êtes plus râleur, votre langue se relâche, votre esprit se libère, vous savez que allez-vous reposer pour mieux râler demain.

Mon métier consiste à démocratiser le monde du haut jusqu'en bas. A le démocratiser le mieux

possible (enfin je crois). C'est un métier d'homme. D'abord parce que lorsqu'il est dans son pays,

l'américain a envie d'acheter des armes, ensuite parce que lorsqu'il y a plusieurs américains aux

Etats-Unis, ils veulent tous manger plus de Hamburgers les uns que les autres.

Un métier américain.

Je suis américain.

Il y a eu George Bush père, il y a eu George Bush fils, il y a Donald Trump, il y a Homer Simpson,

il y a le peuple américain et maintenant, il y a moi. Je suis cette année l'américain le plus stupide et

le prochain plus gros con du monde. Je suis l'américain le plus équilibré de l'Amérique, le plus

calme, le plus con...centré, et mon travail consiste à fabriquer des armes.

Toutes les grandes entreprises américaines fabriquent des armes.

Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, le repos

absolu. Le repos de l'américain.